Nouvelle version du prologue de Montrocher

Après plusieurs mois où je n’ai pas réussi à écrire (suite à une reprise monstrueuse du business de la formation), j’ai finalement accouché d’une version plus aboutie du prologue de Montrocher. Je vous livre ici cette publication, en espérant que vous l’aimerez. Gardez à l’esprit qu’elle n’est pas encore partie à la correction et qu’il peut rester des coquilles.

La clarté de la lune jouait sur les panaches de brume qui, évanescents, s’accrochaient paresseusement aux plants des rizières. La scène semblait irréelle. De temps en temps, un nuage masquait la lumière, obscurcissant le paysage. Dans cette ambiance, l’irruption d’un fantôme chinois n’aurait pas paru incongrue. Aucun bruit ne troublait le calme de la nuit, pas même les mouvements d’une silhouette qui se déplaçait discrètement d’une ombre à l’autre. Il était difficile de voir que c’était une femme. Androgyne, menue, tout en os et en muscles, son apparence, jusqu’à son visage d’une banalité affligeante, ne marquait pas les esprits. 

Elle resta cachée quelques minutes, observant une petite masure à moitié délabrée. Elle essayait de comprendre la situation. Les pluies des dernières semaines avaient redonné de la vigueur à la végétation et un épais tapis d’herbe masquait la terre, sauf autour du bâtiment. Une sorte de poudre grisâtre, qui ressemblait à de la cendre, remplaçait la verdure dans un rayon d’environ dix mètres, recouvrant le sol d’une couche cotonneuse. Seul un arbre mort, sans doute un prunier chinois, se dressait encore près d’une des fenêtres. Comme rien ne bougeait, la femme s’approcha à pas de loup. Elle se glissa à côté de l’ouverture et s’appuya contre le tronc. Étouffant une exclamation, elle passa à travers le bois alors que le végétal tombait en poussière. La surprise lui avait fait perdre l’équilibre, mais elle se rattrapa lestement et, retenant sa respiration, s’éloigna du nuage de scories qui se tenait à la place de la plante. Elle rejoignit les ténèbres et observa encore un moment l’amas de cendre se dissiper avec lenteur dans l’air immobile. La situation n’avait pas attiré l’attention et les habitants continuaient à dormir en toute tranquillité. Elle retourna à pas de loups vers la maison et poussa, avec précaution, la porte qui émit un faible grincement. 

L’unique pièce était plongée dans le noir, rien ne bougeait. Restant dans les ombres, elle laissa courir son regard. Dans un angle, une paillasse crasseuse faisait office de couchage. Un petit tabouret posé à côté du lit était recouvert d’une liasse de feuilles. Le coin cuisine, lui aussi minimaliste, se composait d’un réchaud à gaz et d’une casserole encore sale. Au centre de l’espace, un cadavre pendait du  plafond, accroché à une poutre. Elle poussa un soupir de lassitude en regardant le corps, elle était arrivée trop tard. Étrangement, aucune odeur de chair putréfiée ne flottait dans la pièce. Elle s’approcha de la dépouille et renifla. Rien. Tout à coup, elle fut prise d’un vertige, la tête lui tournait, un frisson la parcourut alors qu’une vague de froid l’envahissait. Elle eut l’impression de voir le cadavre agiter à peine les doigts. Elle recula d’un pas et décida d’en finir le plus rapidement possible. À sa droite, une table renversée avait dû servir de support pour que le malheureux puisse se pendre. Elle la redressa, monta lestement dessus, agrippa la corde de la main gauche et la trancha à l’aide de son couteau. La dépouille s’effondra avec un bruit mou écœurant, un craquement indiquant que quelques os venaient de se briser dans la chute. La femme sauta au bas de son perchoir et retourna le cadavre. Elle fronça les sourcils. On lui avait dit que sa cible était un quinquagénaire, alors qu’elle se trouvait face à un adolescent, dont les cheveux blonds renforçaient encore plus son aspect juvénile. Le corps n’était pas rigide, ce qui laissait penser à une mort récente. Elle avait de plus en plus froid et commençait à avoir des papillons devant les yeux, il fallait faire vite pour qu’elle puisse se mettre à l’abris en toute discrétion dans un buisson à la sortie du village. Son état devait venir de la situation particulièrement étrange, même si son passé était ponctué d’évènements bien pires que la mutilation du cadavre d’un jeune homme. Elle reprit son couteau et découpa la chemise du garçon, l’ouvrant sur son torse blanc et dénué de toute pilosité. Elle appuya la pointe sur le sternum, pesant de tout son poids sur le talon du poignard.  Le métal traversa le cartilage avec un craquement écœurant, puis entra dans le cœur. Alors qu’elle retirait la lame, un sang étrangement vermillon s’écoula de la blessure. Elle eut une moue de dégoût : il aurait dû apparaître noirâtre et coagulé. En fait le cadavre n’aurait pas dû saigner du tout. Elle prit dans sa poche un petit boîtier où se trouvait une pince allongée. Elle l’inséra dans la plaie, fouilla quelques secondes, et extirpa un minuscule éclat de cristal rouge qu’elle rangea rapidement dans une éprouvette scellée. Presque aussitôt, ses vertiges disparurent et la chaleur revint dans son organisme. Elle examina la pierre rouge, ce qu’elle y vit lui fit hausser un sourcil. On aurait dit un morceau de quartz, mais avec une lueur venant de l’intérieur qui semblait pulser avec lenteur. Elle secoua la tête et plaça l’échantillon dans son sac. Alors qu’elle se relevait, dans un craquement d’articulations, son regard s’attarda un instant sur la pile de papiers posée près de la paillasse. Elle s’empara des feuillets, qui rejoignirent l’éprouvette. Leur lecture pourrait peut-être l’éclairer sur ce qui était arrivé ici. Au moment de partir, elle se retourna et jeta un dernier coup d’œil vers le corps. Il semblait plus vieux et ses cheveux étaient devenus bruns parsemés de gris. Des rides étaient apparues sur le visage et il ne ressemblait plus du tout à un adolescent. Elle sortit d’un pas rapide, et marcha vers le sud sur deux kilomètres, jusqu’au bosquet où elle avait dissimulé sa moto, volée quelques jours plus tôt dans le district de Xiahuayuan. Elle rangea les papiers dans une des sacoches, démarra et prit la direction de Beijing, laissant le village de Liuwang derrière elle. Le soleil pointait au-delà des collines, illuminant la route. Cependant, elle ne cessait de voir le visage du mort et la manière dont il était passé de l’adolescence à l’âge adulte en quelques secondes. Elle espérait qu’elle trouverait un début de réponse dans les pages qu’elle avait emportées. 

Quatre heures plus tard, elle entrait à Beijing et c’est dans ses faubourgs, à Chengnan, que la moto rendit l’âme. L’abandonnant dans la rue, elle héla un taxi et lui demanda dans un Cantonais approximatif, d’aller à l’aéroport international. Elle profita du trajet pour allumer son smartphone et acheter un billet sur Singapore Airlines. Un vol partait à seize heures trente, elle avait le temps de l’attraper. Puis elle lança WhatsApp et envoya un message à sa cliente pour lui dire que la mission était accomplie et qu’elle la retrouverait à Montrocher dans deux jours. En réponse, elle reçut un smiley souriant. C’était incroyable qu’une gamine de vingt ans soit sa commanditaire et qu’elle n’utilise que des émojis pour communiquer. Levant les yeux au ciel, elle rangea le téléphone et s’abîma dans la contemplation du paysage en attendant d’arriver.

À seize heures, elle s’asseyait dans l’avion, en classe économique, et se préparait à vivre douze heures de transport qui se solderaient par des douleurs au dos et au coccyx. L’homme à côté d’elle la regardait avec un air de dégoût. En effet, elle ne sentait pas très bon. Tant pis pour lui, il n’avait qu’à voyager en classe « affaires ». Elle se cala tant bien que mal dans son siège et commença la lecture des feuillets qu’elle avait récupérée à Liuwang.

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