Pontmalduit – Les premières lettres de Christian

Pontmalduit, le 22 août 1986,

Mon cher Raymond,

Je suis maintenant presque complètement installé dans le petit village de Pontmalduit. Comme tu le sais, cela faisait longtemps que je souhaitais venir à la campagne et laisser derrière moi les désagréments de la vie parisienne. Je ne voulais pas résider à Aigue-Ardente, tu connais mon sentiment négatif envers les grandes villes, et même si la population ne dépasse pas les cinquante mille habitants, c’est encore trop pour moi. J’ai trouvé un poste de professeur en histoire de l’art à l’université Laplace, située non loin de la gare. Pontmalduit est très mal desservi par les autocars et ne possède qu’un chemin de fer anecdotique où se croisent deux trains par jour. Ainsi, il m’est difficile d’aller au travail en utilisant les transports. Une chance : la secrétaire du directeur de l’établissement voulait se débarrasser de la voiture de son fils, je me suis donc acheté sa petite Peugeot 104 bleue pour les trajets. Il faut que je sois prudent, car je n’ai plus tenu le volant depuis l’obtention de mon permis de conduire en 72.

Le lieu est enchanteur, je suis littéralement tombé amoureux de la région des Combrailles. J’ai trouvé une grande maison située à l’écart du centre du village. Elle est près d’une intersection, non loin du cimetière : une rue débouche sur l’allée des écoles pour retrouver la route départementale, une descend vers le terrain de sport et la troisième part vers le cœur du bourg. Il y a aussi un petit chemin qui longe la propriété pour gagner la Sioule, la rivière qui serpente dans la vallée des Combrailles et passe à Pontmalduit. Mon nouveau logement est une ancienne bâtisse tout en pierre de Volvic, une sorte de basalte noir très résistant. Les murs extérieurs ont été recouverts de crépi blanc laissant apparents les encadrements de portes et de fenêtres. L’effet est charmant. L’habitation possède un appentis immense, j’ai fait un peu de ménage et j’en ai sorti quelques babioles qui traînaient par là. Il me sert maintenant de garage. Le corps de la maison s’étend tout en longueur sur deux étages et pourrait facilement héberger une famille de dix personnes. Je pense que je resterai toutefois cantonné à la pièce principale, qui regroupe la cuisine et le salon. Ce dernier est extrêmement douillet, avec une imposante cheminée à bois et un escalier en chêne, qui monte au premier. Je vais mettre de gros fauteuils et peut-être un sofa. Passer les soirées d’hiver avec un bon livre au coin du feu sera un vrai plaisir. Il faudra aussi que je m’équipe en outils de jardinage, car je possède maintenant un grand terrain, qui s’étend devant la maison jusqu’à la route. Une clôture en fer forgé, maintenue par des poteaux en basalte noir, est du plus bel effet. Pour mon bonheur, un tilleul centenaire se tient fièrement au milieu de la propriété. Il parait que l’on peut en récupérer les fruits pour en faire des tisanes, mais je ne m’y risquerais pas. En attendant que les déménageurs puissent me livrer le reste de mes meubles, je vais aller faire un tour dans le village et rencontrer les autochtones.

Sur ces bonnes paroles, je pars en exploration et j’en profiterais pour poster cette lettre.

Ton ami, Christian.

La maison de Christian

Pontmalduit, le 25 septembre 1986,

Mon cher Raymond,

Quel terrible mois de septembre ! Il y a, non seulement, eu la mort de Jacques-Henri Lartigue (tu sais comme j’aimais son travail), mais en plus ces deux horribles attentats à Paris. Je suis vraiment content de ne plus y vivre, mais je me fais du souci pour toi. Je n’ai pas pu te contacter autrement que par courrier. Bien que l’on m’ait branché le téléphone, il ne fonctionne pas correctement et la plupart du temps je n’ai même pas de tonalité. Quand, finalement, j’arrive à composer un numéro, la communication n’aboutit pas. Comme tu le vois, je découvre les joies de la campagne. Pour revenir sur un mode de pensée plus positif, j’ai fini de m’installer. Pas complètement bien sûr, mais l’essentiel est là. Mon salon commence à ressembler à quelque chose et j’ai fait livrer du bois pour la saison froide. J’ai pu l’entreposer dans l’appentis et j’en ai placé un petit tas à côté de la cheminée. Je me prépare un hiver douillet. J’ai pu brancher ma radio, mais les ondes ne passent pas, au travers des murs de basalte, épais comme ceux d’une forteresse. Je devrais mettre une antenne extérieure. Le fond sonore et les émissions de France Inter me manquent le soir, mais je peux heureusement écouter Danièle Douet sur le poste de la voiture, pendant mes trajets. Ces derniers ne sont pas aussi pénibles que j’aurais pu le penser. Pour rejoindre Aigue-Ardente, j’emprunte la route départe-mentale 471, c’est un peu sinueux au début et à la fin, mais l’ensemble est agréable, car elle me permet de parcourir la chaîne des volcans d’Auvergne. Après vingt-cinq minutes, j’arrive en ville où je dois encore traverser le centre pour atteindre mes locaux. L’enseignement se déroule plutôt bien. Chose amusante : juste en face de mon bâtiment se trouve une autre université. J’aurais, sans doute, mieux fait de postuler dans cet établissement, il est en effet plus axé sur les humanités, alors que Laplace est plus orientée sur les sciences. Toutes ces digressions pour te dire que mon auditoire n’est pas le plus attentif ni le plus motivé concernant l’histoire de l’art.

J’ai essayé de me lier avec les autochtones de Pontmalduit, mais ces derniers sont taciturnes. Ils me regardent de biais et les conversations s’arrêtent lorsque je rentre dans un magasin. Les commerçants ne sont pas plus accueillants et expriment clairement leur agacement quand je vais acheter quelque chose. Fort heureusement, le gérant du petit Casino présent au centre-ville est originaire du Limousin. Il m’a expliqué que les Malduins (les résidents de Pontmalduit) descendaient de groupes montagnards rudes et bourrus. La phase d’adoption d’une nouvelle tête est toujours une étape longue et difficile. À tel point que certains n’arrivent pas à se faire accepter par la population, et décident de quitter la région.

Je suis allé me promener dans les environs et j’ai découvert qu’à un peu moins d’un kilomètre il y a une énorme cheminée en basalte noir. Elle est très impressionnante. Malgré les broussailles envahissantes, j’en ai fait le tour et j’ai trouvé une entrée. Il y a une grande porte métallique située sur le côté du bâtiment. Elle est sans doute très solide, car elle est renforcée de barres de fer fixées avec de gros rivets. Elle doit être très ancienne, peut-être date-t-elle de l’époque où la cheminée fut construite. Je suis allé chercher dans les archives de la ville et j’ai découvert qu’il existait jadis des mines d’agent dans la région. Cette cheminée devait appartenir à une des fonderies. Il semble aussi que des galeries parcourent les sous-sols depuis cette époque. Toute cette industrie a disparu au début du siècle. Cela doit donc faire plus de quatre-vingts ans que cette porte est close ! Pour avoir une vision plus générale de la construction, je suis monté à « la chapelle du comte », c’est un bâtiment où sont enterrés les nobles de Pontmalduit. Elle est située sur un escarpement basaltique adjacent au cimetière, et par bonheur placée en face de la cheminée. Il est possible d’y accéder par un sentier forestier trop étroit pour une voiture, mais assez large pour que deux piétons puissent se croiser. Au détour du dernier virage, le petit monument apparaît, charmant et solitaire, au milieu des arbres. Après quelques marches, un chemin de dalles permet de faire le tour de l’édifice. De là-haut, le panorama est superbe. Sur la gauche se trouve le château de Pontmalduit, à côté du village. La cheminée étant juste devant moi, armé de fortes jumelles achetées au magasin de chasse et pêche, j’ai pu examiner plus en détail l’imposante construction, mais ne détectait rien de bien intéressant. Je suis redescendu, un peu déçu de ne pas avoir fait de découverte incroyable.

Je ne sais pas si je te l’ai dit, mais les anciens propriétaires m’ont laissé, dans la cave, un bric-à-brac impressionnant, composé d’objets cassés ou inutiles. Je vais sans doute passer les prochains week-ends à faire le tri dans cet épouvantable fatras et je te tiendrai au courant de mes explorations. Peut-être trouverai-je assez de trésors pour participer à une brocante.

À bientôt le plaisir de te lire.

Ton ami, Christian.

Pontmalduit, le 5 octobre 1986,

Mon cher Raymond,

J’espère que tu vas bien. Je vais te raconter la petite aventure qui m’est arrivée. Dans un lieu aussi calme que Pontmalduit, vivre une telle chose est incroyable !

Le froid est tombé sur la région, et il faut maintenant des manteaux pour sortir. J’ai pu allumer mon premier feu de bois dans la cheminée. Je suis frileux et je n’ai pas le tempérament des montagnards du coin. J’ai fini de dégager la cave, la plupart des bricoles que j’ai triées sont parties à la décharge, mais j’ai pu récupérer un tourne-disque, quelques 45 tours et un livre qui me semble intéressant. C’est un genre de vieux grimoire contenant des symboles étranges, dans une langue qui m’est inconnue. Honnêtement, cela ressemble à un attrape-nigaud. J’ai tenté d’effectuer quelques recherches à son sujet, mais je n’ai pas trouvé grand-chose. J’essaierai de creuser cela à l’université Laplace quand j’aurai plus de temps. Une fois la cave dégagée, j’ai découvert une porte du même genre que celle de la cheminée : massive, renforcée de barres de métal et fixée avec de gros rivets. Mais cette fois, il y avait une clé dans la serrure. C’est avec surprise qu’elle a parfaitement joué et que le battant s’est ouvert sans difficulté. C’est étonnant : elle semble très ancienne. Elle donne sur une sorte de tunnel sombre, qui sent la terre et le renfermé. Un fort courant d’air froid s’échappe aussi du souterrain. J’ai prévu d’aller acheter une torche électrique pour l’explorer, mais je devrais attendre demain. Il est tout de même étrange qu’un chemin enfoui arrive jusque dans ma cave. Peut-être est-ce un ancien passage secret de contrebandiers ? Je continuerai ma lettre, une fois que j’aurai examiné le tunnel.

J’ai finalement visité le souterrain sous ma maison. Il ne s’est rien produit d’extraordinaire, mais c’est une petite aventure que je vais te conter.

Le lendemain de ma découverte, à mon retour de l’université, j’ai profité de mon après-midi pour aller explorer le conduit de la cave. J’ai récupéré ma lampe, achetée le matin même au Casino, avec un lot de piles ainsi que ma « doudoune » venant d’Aigue-Ardente. J’ai déverrouillé la porte, dont la serrure a joué sans plus de difficulté que la veille. Tu me connais : je ne suis pas un aventurier et je ne suis pas du genre à chercher les problèmes. Aussi, lorsque le battant a émis un grincement sinistre, j’avoue que je me suis demandé si je n’allais pas tout refermer et oublier le passage. D’autant que l’odeur de terre moisie et le froid mordant étaient toujours présents dans le souterrain.
Prenant mon courage à deux mains, je me suis engagé dans le tunnel. Après quelque distance, je suis tombé sur un escalier qui descendait dans les ténèbres sur une dizaine de mètres, avant de redevenir à peu près horizontal. Les parois étaient composées d’un mélange de pierres, de cailloux, de boue et d’humus, avec une humidité suintante dégoulinante des murs. Le sol, entre terre et gadoue, était gorgé d’eau et chaque pas provoquait un bruit de succion ridicule. De temps en temps, une scolopendre énorme apparaissait dans la lumière de ma torche et s’enfuyait à toutes jambes (haha). Je croisai souvent des nids de vers gras et blanchâtres. Le tunnel était très long, et je commençai à me demander s’il aboutissait quelque part ou s’il allait jusqu’à Aigue-Ardente. Après une bonne dizaine de minutes, j’arrivai finalement à une intersection. Le passage se séparait : devant moi se trouvait une porte métallique, copie conforme de celle de ma maison et de la cheminée. Vers la droite et la gauche, aussi loin que ma lampe me permettait de voir, la galerie semblait continuer vers des destinations inconnues. J’utilisai la clé de ma cave sur la serrure, qui joua à la perfection. Il était vraiment étrange qu’une mécanique de plus de quatre-vingts ans fonctionne encore ainsi de manière parfaite. Le battant, en revanche, était bloqué et je dus forcer pour l’ouvrir. J’arrivai dans une sorte de conduit vertical en basalte noir d’environ cinq mètres de côté et haut de plusieurs dizaines. Je levai la tête et aperçus un coin de ciel bleu. Devant moi se trouvait une nouvelle porte métallique : j’étais dans la cheminée ! Si ma clé déverrouillait la serrure, je n’aurais pas à faire le chemin inverse dans le souterrain. C’était un soulagement, car je commençais à être un peu claustrophobe. Alors que je promenais la lumière de ma torche sur les parois, je découvris d’énormes entailles dans la pierre. Le basalte étant une roche particulièrement solide, je me demandai ce qui avait pu faire de tels dégâts. On avait l’impression qu’une créature avait griffé les murs, comme si elle avait essayé de s’échapper par le haut de la cheminée. Je scrutai le sol, mais ne vis pas de cadavre d’animaux, de relief de repas, ni d’excréments. Quelle que soit la bestiole qui avait vécu ici, elle était sortie d’une manière ou d’une autre ; sans quoi j’aurais sans doute trouvé des ossements. Ou alors, sa mort était si ancienne qu’il n’en restait plus rien. J’examinai les marques de griffures. Elles avaient presque deux centimètres de profondeur sur trente à cinquante de longueur. Ce qui avait laissé de telles entailles ne devait pas être agréable à croiser. En levant ma torche, je vis que les traces montaient jusqu’à une hauteur d’environ dix mètres. Non seulement cet animal n’était sans doute pas très sympathique, mais il semblait particulièrement agile, malgré une force visiblement conséquente. Je déverrouillai la porte métallique et je sortis de la cheminée. J’avais passé presque une demi-heure sous terre. Pour quelqu’un comme moi, qui ne suis pas habitué à ce genre d’exploration, c’est un record ! Je rentrai chez moi en longeant la route. J’arrivai vers le cimetière et jetai un regard à la chapelle du comte, seule et isolée sur son pic rocheux. Une fois à la maison, je retirai mes chaussures pleines de boue. Une scolopendre s’en échappa et je l’écrasai sans ménagement. Avec un bruit écœurant, elle libéra une sorte de graisse jaunâtre. Je nettoyai mes bêtises et allai refermer la porte de la cave.

Voilà toute mon aventure. Pour un citadin comme moi, je veux croire que c’est quelque chose de formidable !

Ton ami Christian.

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